Handicap et enfance : que dit l’archéologie ?

Handicap et enfance : que dit l’archéologie ?
12.12.2014 Réflexion sur Temps de lecture : 6 min

Que connaît-on de la place de l’enfant handicapé parmi les siens à l’époque néandertale ?

Valérie Delattre nous présente ce que les recherches archéologiques ont révélé sur le sujet…

Les enjeux de l’archéologie funéraire et de l’anthropologie, appliqués aux populations du passé, permettent d’appréhender l’être humain dans ce qu’il a de plus intime. L’étude immédiate, reposant sur la lecture ostéologique des pièces osseuses mises au jour, est évidemment biologique : définir le sexe du sujet considéré, estimer son âge au décès, analyser ses caractères morphologiques (stature, robustesse,…), recenser ses carences alimentaires, ses stress de croissance et ses éventuels liens de parenté avec d’autres membres de son groupe d’appartenance.

Mais c’est aussi accéder à la pensée qui sous-tend les gestes déployés lors de la cérémonie funéraire puis lors de l’ensevelissement, c’est inventorier l’ensemble de ces pratiques codifiées souvent restituées par l’observation scientifique in situ (orientation du corps, mobilier, agencement de la tombe,…) en proposant une approche des comportements collectifs.

Au-delà de la simple étude d’un site, d’un lieu, par le biais d’une fouille, l’archéologie peut et doit s’emparer de grandes thématiques transversales et considérer l’état des questionnements actuels quelques siècles ou millénaires plus tôt. Qu’en est-il de l’alimentation ? De la guerre ? De la religion ? L’approche du handicap et des comportements qu’il a engendrés, inclusion ou exclusion, fait depuis peu partie intégrante des problématiques abordées par la communauté scientifique et elle se rattache directement à l’étude sanitaire des groupes et à leur façon d’envisager le « corps différent ». Difficile, bien évidemment, avec les seuls squelettes humains et leur environnement funéraire, de pouvoir appréhender les handicaps psychiques et mentaux qui n’ont laissé que peu de traces ostéologiques lisibles par le spécialiste.

Mais au fil du temps, il est de plus en plus aisé de considérer les pathologies invalidantes, les situations de handicap et leurs conséquences sociétales y compris dans les temps les plus reculés ; ainsi découvre-t-on que notre lointain « ancêtre » néandertal, il y a plus de 50000 ans, savait faire face au handicap des siens, notamment des plus jeunes de son groupe, en les accompagnant dans la mort. Les deux tombes doubles de Quafzeh, en Israel, qui ont livré chacune un adulte et un enfant handicapé (dont l’un est atteint d’une forme d’hydrocéphalie) témoignent sans ambages de cette intention de protection du plus faible, dans la vie comme dans la mort, de ce que les anglo-saxons appellent communément le « take care ».

Cette observation interpelle plus généralement quant aux comportements déployés à l’égard des enfants handicapés : que peut-on en connaitre ? Si l’on sait que, de façon universelle, des traitements funéraires spécifiques sont appliqués aux tout petits non encore agrégés au groupe par le biais d’un rite de passage (qui peut, par exemple, être le baptême), si l’on sait que les enfants peuvent se voir appliquer des rituels adaptés à leur jeune âge, il est difficile de généraliser l’interprétation des comportements au regard du petit handicapé, tant, par essence, l’immaturité de leur squelette contrarie la conservation osseuse et la lecture de pathologies invalidantes. Toutefois, au-delà de l’exemple « anecdotique » mais tellement parlant de Quafzeh, on peut observer quelques faits ponctuels riches d’enseignements.

archeo.fig1.jpg enfant de 2-3 ans inhumé dans le cimetière protestant de Charenton dans le Val de Marne (cliché Inrap) / Illustration du rachitisme chez un enfant en 1870 (Molleson et al., 1993, p. 154Ainsi, alors que la mortalité infantile est redoutable avant le 18ème siècle, pour des populations qui ne connaissent pas le vaccin et perdent la moitié de leurs enfants avant l’âge de 4 ans, on sait que le rachitisme de la petite enfance (carence alimentaire et en vitamine D, famine, …) entraîne des handicaps sévères, aux séquelles locomotrices lourdes, qui ne rejette pas du groupe.

Et lorsqu’un enfant décède, sans doute de ce mal répandu qui atteint l’ossification et la croissance, celui-ci n’est pas exclu du « monde des morts » au prétexte de sa différence mais est pleinement intégré aux siens, sans doute sa famille : ainsi en témoigne la sépulture de cet enfant de 2 -3 ans, déjà très atteint et dont les os longs, tibias et radius, montrent cette courbure significative du rachitisme et mis au jour dans le cimetière protestant de Charenton (Val de Marne) datant du XVIIème siècle (fig. 1).

Un autre exemple archéologique, encore plus ancien, semble confirmer la non exclusion des enfants handicapés et le respect, y compris dans la mort, de leur « corps différent ». De tout temps et quelque soit le culte ou la spiritualité pratiquée (hormis pour certains religieux préconisant une prosternation éternelle !), ensevelir ses défunts sur le ventre, face contre terre a toujours été considéré comme injurieux à l’égard du mort dont l’ « esprit » ne pouvait regagner l’autre monde. Ainsi était enterrés les prostituées, les sorcières,… ceux dont la « mauvaise vie » entraînait une « mauvaise mort ».

archeo.fig. 2_0.jpgenfant gaulois bossu inhumé pour partie sur le ventre (cliché Inrap)On ne retrouve donc aucune sépulture gauloise (les 3derniers siècles avant notre ère) livrant un corps enseveli sur le ventre… sauf celle d’un petit gaulois fortement bossu, au dos tellement déformé que ses proches ont préféré respecter son handicap au détriment des prescriptions en vigueur ; afin de l’agencer « au mieux » dans sa tombe, tout en lui appliquant le rituel en vigueur (enveloppement du corps dans un textile maintenu par une agrafe métallique, la fibule), ceux-ci l’ont installé comme ils le pouvaient en raison de sa bosse encombrante et peu pratique pour un ensevelissement sur le dos (fig. 2).

Sachant que l’approche des situations de handicap et l’étude des comportements qu’elles génèrent au fil du temps commencent à devenir des thématiques indissociables des travaux de paléopathologie actuels et que toute étude de société, y compris les plus primitives, nécessite ce regard, il sera intéressant de considérer les attitudes déployées envers l’enfant handicapé. Sa place dans le groupe, son rôle et son éducation. Nul doute que la multiplication des observations et des synthèses sera d’un apport considérable, et sans doute surprenant, pour notre société contemporaine si frileuse et encore trop souvent oublieuse de ses fondamentaux d’accueil et de respect de tous.

Bibliographie :Valérie Delattre et Ryadh Sallem (éds), Décrypter la différence : lecture archéologique et historique de la place des personnes handicapées dans les communautés du passé, Paris, CQFD, 2009
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