Handicap et relations amicales

Handicap et relations amicales
30.09.2022 L’essentiel Temps de lecture : 11 min

Handicap relations amicales : Le handicap d’un enfant compromet parfois les relations sociales et amicales. Comment font certains parents, face à l’incompréhension ou à la peur, pour préserver leurs liens d’amitié ?

Si tous les proches ne s’éloignent pas dès l’irruption du handicap, il en est pourtant qui tournent franchement les talons. Et si c’était justement l’occasion de voir qui sont (vraiment) ceux qui nous entourent ? Comment garder ses amis ? Peut-on en conquérir de nouveaux ?

Caroline, maman d’Émilie, IMC, et de Virginie, polyhandicapée, semble encore interloquée quand elle repense à sa « meilleure » amie. C’était il y a plusieurs années et pourtant, au son de sa voix, on sent que cette histoire la hante encore. « D’abord les invitations se sont faites plus rares, et puis il y a eu ce jour où j’ai pris son bébé dans les bras et où elle s’est précipitée sur moi pour me l’arracher comme si j’étais contagieuse… Ça a été la fin de l’histoire ». Une réaction extrême (rare heureusement!), mais qui corrobore le sentiment de rejet ou d’abandon vécu par de nombreux parents. Même si souvent la rupture est plus subtile, plus progressive: les liens se distendent, on se sent marginalisé, et certains amis s’éloignent, sans explication.

Décrypter les comportements

Estelle Veyron La Croix est psychologue en SESSAD (Service d’éducation spéciale et de soins à domicile), elle a souvent observé le phénomène: « Certains membres de l’entourage n’ont pas l’envie (ou la force?) de partager les messages culpabilisants que la société renvoie aux parents et qui sont source de souffrance, analyse-t-elle. Exemple dans le cas des enfants porteurs de TSA (Troubles du spectre autistique) où les comportements sont mal compris par les regards extérieurs. Au moment où la crise se déclenche, l’entourage se désolidarise parfois… Mais il y a aussi ceux – sans doute les plus nombreux – que la présence du handicap met mal à l’aise ou que la situation impressionne. Ceux-là ne savent pas comment réagir, et préfèrent s’éloigner par crainte de dire des mots blessants ou de ne pas être à la hauteur de ce que vous traversez ».

Libérer la parole

« Combien de fois ai-je demandé des nouvelles de leurs enfants à des membres de mon entourage sans que l’on ne me demande rien en retour? », déplore Christine, maman de Clara, autiste. « Face à cette peur du faux pas, l’objectif est de libérer la parole, répond Estelle Veyron La Croix, c’est-à-dire d’inciter vos amis à exprimer leurs questionnements et leurs appréhensions vis- à-vis du handicap… On peut par exemple saisir des moments de gêne – Untel qui parle de votre enfant à la troisième personne en sa présence, Untel qui détourne le regard – pour amorcer le dialogue. Et si votre ami se montre réceptif, parlez-lui simplement du handicap de votre enfant et de votre ressenti de parent. » Un « exercice » qui suppose d’être parvenu à dépasser ses appréhensions et à mettre des mots sur son histoire sans trop souffrir.

Rester dans l’échange

Lever les tabous donc, pour dissiper le malaise. Mais attention de ne pas tomber dans l’extrême inverse: réduire son entourage à une oreille dévouée. « Certains parents sont tellement concentrés sur leur enfant qu’ils ne sont plus dans l’échange, remarque Anne Barrière, coach sociale, fondatrice de l’Atelier coaching 94. Or, une relation sans réciprocité est vouée à l’échec. Il faut continuer à prendre soin de ses amis, apporter des témoignages d’affection et bien sûr, être là quand ils en ont besoin. » Ensuite, tout est question d’organisation, comme l’explique Catherine, maman d’Élisa, 15 ans, autiste: « Nous avons trouvé une famille d’accueil qui prend en charge notre fille de temps en temps, pour nous soulager dans notre vie quotidienne, ce qui nous permet également de continuer à entretenir notre vie sociale. »

Réinventer sa vie sociale

Mais que faire alors, si le lien est déjà trop distendu? « D’abord se demander si l’on tient vraiment à cette relation, propose Anne Barrière, et puis imaginer des solutions concrètes pour la réactiver: un coup de fil pour proposer une sortie ou l’organisation d’un dîner pour tenter de renouer. » Ce qui n’empêche pas d’élargir le cercle… « Je suggère aussi aux parents de rencontrer des gens qui connaissent les mêmes problématiques, indique la coach. Tout en conservant des amis en dehors du handicap. Beaucoup trouvent leur équilibre en mixant ces deux univers. » C’est aussi l’avis de Caroline, qui a « perdu des amis mais en a rencontré d’autres, et ne court plus jamais après personne ». Car elle en est convaincue aujourd’hui: le handicap est l’indicateur le plus précis de ce que sont les autres…


Des parents témoignent…

« Je veille à ne pas monopoliser les conversations »

Anne-Sophie, maman de Benjamin, 8 ans, porteur d’un polyhandicap

« Quand on a appris le handicap de Benjamin, nous vivions sur l’île de La Réunion et nous avons reçu du soutien de la part de nos amis. Mais quatre ans plus tard, à notre retour en métropole, on a eu du mal à reprendre contact, sans que l’on sache si c’était dû à l’éloignement ou au handicap… Au final, sur quinze personnes, seules quatre sont “restées”, toutes issues du milieu médical, donc sensibilisées à ce que nous vivons. Elles nous posent parfois des questions mais nous veillons à ne pas monopoliser les conversations. Je suis infirmière et mon mari est gendarme : toute la journée, nous entendons des gens qui souffrent et se plaignent, et nous savons que cela peut devenir un repoussoir. Parfois aussi mes amis hésitent à me dire leurs problèmes, ils disent “ce n’est rien par rapport à ce que tu vis”… Je leurs réponds que “non, leurs soucis méritent autant que les miens d’être partagés”. D’ailleurs, j’ai moi aussi besoin de parler d’autre chose. Et puis de respirer, de rigoler. Sans ces moments-là, je serais malheureuse. »

« Je fais semblant que tout va bien »

Pascal, papa de Nina, 14 mois, qui souffre d’un retard non identifié.

« Pour moi, la solution est de ne rien dire. Tout le monde s’interroge sur l’état de santé de ma fille, qui ne marche pas, bave, fait des crises de convulsion. Pour l’instant, aucun diagnostic n’a été posé. Alors, dans le doute, je me tais. Nous avons eu trois autres filles avant Nina, trois petites blondes à croquer, plutôt précoces, qui ont toujours fait l’admiration de tous. Je me suis habitué à cette image de papa comblé, et je sais qu’au fond de moi j’ai peur de briser le mythe de la famille idéale. Ce n’est pas très courageux, mais il est trop tôt pour que je me dévoile. Quand on me pose des questions, je fais semblant que tout va bien. Consciemment ou pas, j’ai trop peur que les autres nous rejettent. Un jour, une collègue qui a un enfant handicapé m’a avoué qu’elle avait perdu tous ses amis, même les plus proches. Je n’ai pas la force de passer de l’admiration au rejet, alors je continue dans cette forme de déni. Jusqu’à quand ? Peut-être qu’un diagnostic pourra m’aider à dire la vérité. Et quelle vérité, d’ailleurs, puisque nous n’avons, pour le moment, rien à “avouer” ! »

« Je continue à inviter, à sortir »

Sandrine, maman d’Aurélien, 7 ans, avec une infirmité motrice d’origine cérébrale.

« Nous avons eu de la chance, car nous n’avons perdu aucun ami. Il est vrai qu’avec l’impact du Téléthon ils étaient plutôt sensibilisés à la cause des enfants handicapés, et, pour certains, faisaient un petit geste comme garder les bouchons de bouteille. Il y avait donc déjà chez eux une bonne base d’acceptation et de compréhension. Au final, je crois même que le handicap de mon fils nous a soudés. Jérôme et Delphine sont venus pendant deux mois pour rendre visite à Aurélien, qui était grand prématuré et en réanimation. Ensuite, ils ont souhaité devenir parrain et marraine. Au début, je ne savais pas s’ils avaient pitié ou s’ils étaient plutôt admiratifs. Mais, finalement, tout a été assez facile. Ils se montraient présents et solidaires, m’aidaient pour les transferts lorsque j’étais seule le week-end. Nous étions les premiers à avoir un enfant et, surtout, une maison. Alors j’ai continué à inviter, à sortir aussi. Maintenant, la plupart de nos amis ont des enfants en poussette. Lorsqu’on part en balade, on cherche des circuits adaptés qui conviennent à tout le monde. Dans notre cas, je crois que ce qui fait toute la différence, c’est qu’Aurélien peut communiquer. Le lien ne s’est jamais rompu, et notre entourage est resté très à l’aise. »

« Une solidarité amicale et au travail très forte »

Béatrice, maman de Camille, 5 ans, atteinte de dysplasie craniométaphysaire.

« Le papa a déserté peu après l’annonce de la maladie, alors que Camille avait 2 ans. Je me suis donc retrouvée toute seule dans un chagrin incommensurable. Mais mes amis m’ont dit : “On est là !” Même solidarité au travail, quand mon chef de service a compris que je devrais m’absenter pour d’innombrables examens : “Partez, on se débrouillera !” Cette solidarité a été un immense réconfort. Mes amis, que j’avais perdus de vue lorsque j’étais partie vivre en province, m’ont tous rappelée. Je n’étais jamais seule, il y avait toujours un coup de téléphone. Camille a un visage très ingrat, mais à aucun moment je n’ai perçu de critique, de dégoût ou de réticence de leur part. S’il y avait eu la moindre réflexion sur son apparence, j’aurais dit adieu. Autour d’elle s’est créée comme une famille élargie, qui comprend et accepte. Ma fille a des problèmes pour s’exprimer, mais mes amis font des efforts. Si elle doit un jour en venir au langage des signes, ils s’y mettront aussi. J’ai eu cette chance que personne ne me tourne le dos. Et puis, certains de mes amis souffrent également d’une forme de discrimination : l’un est très fort, l’autre antillais. Alors, la différence, ils savent ce que c’est ! »

« Aucun de mes amis ne m’a abandonnée »

Marcelle, maman de Fabrice, 29 ans, infirme moteur cérébral.

« J’ai eu beaucoup de chance, car aucun de mes amis ne m’a abandonnée. Le handicap de Fabrice n’a en rien modifié leur comportement. Je vivais une situation dramatique qui aurait pu en faire fuir plus d’un : je me suis retrouvée veuve avec sept enfants, dont le dernier était handicapé, et cela deux mois seulement après sa naissance. Il est vrai que, dans ces circonstances, j’avais réellement besoin d’être épaulée. Mais j’ai trouvé des gens prêts à m’aider, pour m’emmener en voiture ou garder les enfants. Heureusement ! L’avantage d’une famille nombreuse, c’est qu’il y a en permanence du monde à la maison. Fabrice a grandi sereinement au cœur de cette agitation amicale, parfaitement intégré et respecté. Je crois que c’est surtout la peur qui fait fuir. Mes amis sont restés parce que j’ai joué franc jeu : pas de dissimulation ni de faux-semblants. Dès le début, je leur ai parlé ouvertement et n’ai jamais cherché à minimiser. Ma franchise les a mis à l’aise. Ils n’hésitent pas à m’interroger, à poser des questions… Le handicap de mon fils n’est pas un tabou. Et puis, Fabrice a toujours eu beaucoup d’humour, et cela a aussi certainement joué en sa faveur. »

« N’ayant plus d’amis, je m’en suis fait d’autres »

Annie, maman de Tommy, 12 ans, atteint du syndrome de Gilles de la Tourette.

« Il me reste quelques copains, mais mes amies et même ma famille ont disparu. Ils ont honte, et l’attitude de mon fils les dérange. Nous troublons leur tranquillité. Je crois que le mieux, pour moi, aurait été de me taire lorsque le diagnostic est tombé. L’incompréhension des comportements de Tommy a entraîné les moqueries, et le reste a suivi. Mes amies m’ont rejetée car elles pensaient que j’étais responsable de la mauvaise éducation de mon fils. Elles ont préféré couper les liens, de peur qu’il ait une influence négative sur leurs enfants. Ma fille de 14 ans doit éviter d’être en présence de son frère pour ne pas être mise de côté. J’ai un mal fou à faire garder Tommy. J’ai parfois recours à des familles d’accueil pour les fins de semaine, mais, même pour elles, ses comportements deviennent difficiles à gérer. N’ayant plus d’amis, je m’en suis fait d’autres : des mamans que je rencontre dans les forums de discussion sur Internet. J’apporte mon soutien à nombre d’entre elles. Moi qui avais tant besoin d’aide, je ne cesse d’en donner aux autres. C’est une façon de me sentir utile. Avant, j’avais beaucoup d’amies, et on recherchait volontiers ma compagnie. »

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