L’enfant rêvé, les annonces, les deuils et la trajectoire de vie

L’enfant rêvé, les annonces, les deuils et la trajectoire de vie
12.01.2023 Réflexion sur Temps de lecture : 6 min

Extrait du livre « Le consentement » publié aux éditions Chronique sociale

À travers l’histoire d’une famille dont un des enfants est en situation de handicap moteur, l’auteure interroge la place des parents, de la famille et des soignants dans l’évolution de tout enfant vers son autonomie.

L’écriture alterne entre les moments-clefs de la vie familiale, centrés sur l’enfant qui garde des séquelles motrices d’une naissance difficile, et les conférences d’une médecin spécialiste qui apporte les notions théoriques.

Dans cet extrait, la famille écoute une conférence autour de l’annonce du handicap.


Avant le débat j’ai encore quelques notions à vous transmettre sur la question de l’enfance d’un petit qui naît, trop différent des autres.

Je voudrais remettre en question l’idée de travail de deuil à faire face au handicap de son enfant. Le handicap de l’enfant oblige ses parents à des adaptations, des comportements de résistance qui peuvent s’analyser bien au-delà de la simple question du deuil.

Un enfant quel qu’il soit dans la vraie vie, est très différent de l’enfant rêvé. Cela les parents l’apprennent petit à petit, ils s’adaptent doucement à une réalité qui s’éloigne plus ou moins de ce qu’ils espéraient. Ils s’adaptent à l’enfant réel.

À l’école, par exemple la petite fille préfère le sport à la musique alors qu’on l’avait imaginée virtuose en piano, ou le garçon évite le ballon plutôt que de shooter avec force, alors qu’il était déjà le meilleur footballeur mondial dans l’imaginaire de son père.

Le deuil de l’enfant rêvé lorsque l’enfant est porteur d’une déficience est-il comparable à celui d’un enfant « comme les autres » ?

Non. Pour trois raisons :

  1. la brutalité de la première annonce
  2. l’avalanche d’annonces qui vont succéder à la première
  3. l’impossibilité de s’appuyer sur des certitudes.

Les parents d’un enfant né avec une déficience n’ont pas les quelques mois ou années après la naissance qui leur permettent de savourer leur rêve. Ils sont d’emblée devant une réalité éprouvante. Pas de douceur, la réalité casse immédiatement leur utopie.

La violence de cette annonce peut se rapprocher de la violence de la mort, au point que le travail de deuil classique, en 5 étapes, décrit par Elisabeth Kubler-Ross soit indispensable pour accepter que leur enfant si différent des autres, est porteur de handicap.

Cependant, cela ne me paraît pas si simple. La question de l’annonce du handicap vient compromettre ce travail psychique.

La première annonce est toute particulière. Vous vous souvenez, la déficience est l’atteinte corporelle à l’origine du handicap, c’est le diagnostic médical en quelque sorte, par exemple une hémiplégie ou syndrome cérébelleux ou une maladie du muscle. Les informations incontestables : l’enfant a telle ou telle pathologie, c’est une annonce sans demi-mesure.

Pour faire face à la brutalité de cette première annonce, quelle que soit le tact du médecin, un travail psychique peut se mettre en route, un travail de deuil selon les 5 étapes classiques : déni, colère, marchandage, dépression, acceptation. Comme devant la mort.

Mais à peine les parents ont-ils accepté la dure réalité, que l’avalanche d’annonces débute.

À chaque étape de développement de l’enfant, la marche, le langage, la lecture, l’écriture, le raisonnement, les mathématiques, le sport, la relation aux autres, il peut y avoir l’annonce d’incapacités probables. Et cela ne semble jamais finir.

Ces différentes annonces sur les incapacités viennent au fil des mois et des années, au fil de ce que l’on attend d’un enfant à tel ou tel âge. Et on attend beaucoup d’un enfant : qu’il marche, qu’il court, qu’il fasse du sport, qu’il parle, qu’il apprenne ses poésies, qu’il lise, qu’il écrive, qu’il compte, qu’il ait des copains… qu’il ait le bac et devienne… président de la République ! Que sais-je ?

Et aucune annonce au fil du développement de l’enfant « différent » n’est franche comme celle de la mort. Ce n’est pas : il marchera ou il ne marche pas.

C’est exceptionnel quand on affirme il marchera où il ne marchera pas. Et d’abord qu’est-ce que la marche ? Est-ce faire de grandes randonnées en montagne ou bien aller à l’école à pied ou bien pouvoir aller de la chambre à la cuisine ?

L’annonce du handicap provoquée par la déficience est floue. Elle est floue premièrement car elle dépend d’une multitude de facteurs que l’on ne maîtrise pas, et deuxièmement parce que le handicap dépendra des adaptations qui seront mises en place.

Vous vous souvenez, si j’ai la jambe gauche cassée et que j’ai une voiture avec une boîte automatique, je ne serai pas en situation de handicap pour conduire ma voiture.

Voilà ce qu’il est possible d’annoncer, ce sont des exemples pour que vous preniez conscience du flou de l’information : « Pour se déplacer debout, il lui faudra peut-être des attelles, ou des chaussures orthopédiques, ou un cadre de marche.
et/ou il ne se déplacera qu’avec ce que l’on appelle un motilo sur lequel il sera installé à cheval, les pieds au sol
et/ou il se déplacera seulement sur de petits trajets : à l’intérieur de la maison, juste pour aller faire le tour du jardin, juste pour aller à l’école… avec lenteur, etc »

Bref. On ne sait pas exactement.

Mais ce qu’on sait, c’est que l’enfant ne se déplacera pas avec autant de facilité que les autres.

Un autre exemple est celui de l’acquisition du langage. Qu’est-ce que parler ? Participer à une troupe de théâtre et déclamer des vers ? Se faire comprendre quand on veut exprimer ses idées ? Ou ses besoins primordiaux ? Le langage n’est-il qu’oral ?  N’y a-t-il pas un langage par signe ? Pictogrammes ? Images ?

La déficience du langage va entraîner des incapacités qui peuvent être très variées. On peut annoncer par exemple :

« Pour communiquer il aura peut-être besoin d’orthophonie, ou son langage oral ne sera pas très riche, ou il dira des mots mais ne fera pas de phrase, ou bien il ne dira que quelques mots, ou il ne s’exprimera oralement que par des sons mais on lui apprendra le langage des signes, ou encore, il aura un cahier de communication avec des images, des symboles, des photos, etc. »

Une fois l’annonce du diagnostic fait, les conséquences de ce diagnostic sur les capacités et les incapacités de l’enfant sont tellement multifactorielles qu’il est impossible de donner une information catégorique, une information aussi tranchée que celle de la mort, sur laquelle les parents peuvent s’appuyer pour faire un travail de deuil et construire une image de leur enfant.

Peut-être existe-t-il alors un travail de deuil, non pas de l’enfant « rêvé » mais un travail de deuil de « réparation ».

 


 Extrait du livre « Le consentement » écrit par Isalbelle Poirot-Jarot
Présentation du livre par l’éditeur :
https://www.chroniquesociale.com/comprendre-les-personnes/1224-consentement-le.html

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